Les ordonnances du psychiatre

Le Calanca nouveau est arrivé! C’est la 7e édition entièrement révisée de ce petit ouvrage, compagnon précieux du psychiatre et de tout médecin qui se mêle de prescrire des psychotropes*. En 200 pages environ, ce livre qui tient dans une poche brosse le tableau détaillé de la plupart des substances chimiques que l’on peut administrer aux personnes souffrant de déprime, de mélancolie, d’angoisse, d’insomnie, de délire, d’hallucinations, de manie, de phobies diverses et de bien d’autres tourments symptomatiques que l’esprit semble avoir inventés pour se compliquer l’existence. Chaque médicament y est soigneusement classé selon des répertoires alphabétiques ou logiques, portes d’entrée permettant au lecteur d’accéder à la catégorie chimique, à la maladie, à l’indication, à la contre-indication ou à l’interaction médicamenteuse qui lui pose un problème. Outre la pharmacopée, ce livre présente d’autres méthodes de traitements biologiques, tels que la luminothérapie, l’agrypnie, les enveloppements humides, l’électronarcose, des éléments des thérapies cognitivo-comportementales, grâce aux contributions de quelques spécialistes dont le Dr Calanca a sollicité le concours.

Certes, les psychiatres dont la pratique est avant tout axée sur la psychothérapie pourraient (je les entends d’ici) se montrer dédaigneux envers un tel ouvrage. Je fais moi-même partie de ceux qui misent essentiellement sur l’art de converser avec le patient plutôt que sur un produit à lui prescrire. Mais, au début d’un traitement, un médicament est bien souvent nécessaire, sinon indispensable, lorsque le patient souffre trop et qu’il convient de l’apaiser – ne serait-ce que pour rendre le dialogue possible. D’autre part, avec certains patients, aucune psychothérapie n’est concevable sans l’aide d’un psychotrope dont il faut prolonger l’usage parfois des années durant, avant de pouvoir s’en passer pour ne plus tirer profit que de la seule interaction psychologique. Enfin, que cela nous plaise ou non, il faut bien avouer que le médicament remporte parfois un bien meilleur succès que la stratégie psychothérapeutique la plus raffinée. J’en ai fait quelquefois la cuisante expérience.

Tenez, il n’y a pas longtemps, au cours d’une thérapie de famille, je désespérais de parvenir à un quelconque changement auprès d’une patiente qui exaspérait son époux par une jalousie noire et par des reproches obtus et sans fin qui interdisaient toute ouverture ou remise en question d’elle-même. Nous piétinions, elle nous épuisait tous sans exception, son mari, ses enfants, ma collègue et moi-même, et chaque séance tournait au cauchemar. Contrairement à l’habitude en thérapie de famille, je me décidai à lui prescrire un antidépresseur et le tableau changea rapidement. Elle devint moins rigide, moins obnibulée par sa mentalité de justicière, se mit à écouter son époux, assouplit son jugement, fit même preuve d’humour lors des séances. Les choses allèrent vite mieux entre eux et je m’en voulus de n’avoir pas recouru au médicament plus tôt – tout en étant quelque peu vexé qu’un remède ait réussi là où mon art de communiquer échouait. Leçon de plus en faveur d’un éclectisme éclairé, au détriment de la mentalité scolastique.

L’auteur de ce vademecum? Ressortissant tessinois du val du même nom, le Dr Calanca est une figure bien connue de la psychiatrie lausannoise, mais dont la réputation de thérapeute dépasse très largement les frileuses frontières de notre Helvétie. Clinicien au long cours, chercheur spécialisé en toxicomanies et en transexualisme, enseignant à la faculté de médecine, c’est également un artiste et un humaniste déroutant. Saxophoniste doublé d’un clarinettiste de jazz, fou de bebop et de cool, jouant occasionnellement du piano et même du cor des Alpes, ses proches amis vous diront son érudition littéraire et cinématographique, ses collections insolites, son appartenance au club international des Amis du Monstre du Loch Ness, sa curiosité avertie pour la graphologie**. Sorte de Boris Vian à la gueule de Fellini (avec un menton revu par Kirk Douglas), ami de Freddy Buache, de Stan Getz, de Claude Olivenstein (qui préface le livre) et de quelques autres célébrités, il fallait une personnalité de sa trempe pour éveiller immédiatement la confiance et l’estime de gens aussi écorchés et psychiatro-phobes que les toxicomanes.

Il parait que le Dr Calanca vient de prendre sa retraite, après une longue et brillante carrière de médecin-chef à l’hôpital de Cery. Laissez-moi rire: ce diable d’homme n’a pas fini de nous étonner. Et ce n’est pas ce cher vieux Nessie qui me dira le contraire.

* Aldo Calanca & coll.: Vade-mecum de thérapeutique psychiatrique. Ed. Méd. & Hygiène, Genève, 1995.

** Le mercredi 26 avril prochain, à 20h15, le Dr Calanca donnera une conférence publique à la salle de projections du collège A. Reymond de Pully, intitulée: « Psychiatrie et graphologie: opposition ou complémentarité? » Renseignements: Fondation Ling, tél. 021-312.09.51.

(04.04.95/LNQ)