Massage et communication par le toucher

Stress? Déprime? Burn-out? Migraines? Lumbago? Rhumatismes? Tôt ou tard, vous entendrez quelqu’un vous recommander son « acupresseur » personnel, ou tel « ostéo » génial, ou telle réflexologue « très efficace ». De la chiro au shiatsu, en passant par le massage thaï ou californien, les thérapies par le toucher font florès dans les instituts new age, les cabinets particuliers et les salons des médecines naturelles. Il n’est d’ailleurs pas rare que les médecins les recommandent aujourd’hui à leurs patients, quand ils ne s’initient pas eux-mêmes à ces techniques « douces ». La mode est d’aller se faire « manipuler un peu », de « recevoir » un massage, de se laisser pétrir le crâne, la nuque, les fesses ou la plante des pieds, de se faire craquer les vertèbres, de goûter au fameux « toucher thérapeutique ». Sans parler de toutes ces thérapies de groupe aux allures néoreichiennes, dans lesquelles les attouchements mutuels – plus ou moins osés – sont censés vous fouetter les moelles, ouvrir vos shakras, libérer votre traumatisme de la naissance et vous requinquer l’ego.

Comment expliquer un tel engouement? Serions-nous à ce point frustrés du manque de contacts corporels pour quérir, dans l’impunité de la relation thérapeutique, ce que la vie de tous les jours nous refuse? Il est vrai que dans nos cultures occidentales le toucher mutuel est malséant – excepté la poignée de mains ordinaire. A la rigueur une tape sur l’épaule ou sur le dos, quelques becs zamicaux, et le tour est joué. Tout autre geste prend vite une signification équivoque ou intrusive. Le corps a ses zones défendues et ses zones « permises ». Seuls les amoureux et les mères avec leurs bébés ont un libre accès à l’anatomie globale. Hormis ces dérogations, force est de constater que, sous nos latitudes – a fortiori au pays de Calvin – même entre proches, on se touche peu.

Pourtant, calvinistes ou non, nous n’en sommes pas moins des primates. Le contact corporel nous est vital: il procure chaleur et bien-être, accroît la vitalité. Dès le stade bébé, l’expérience tactile reste notre façon élective de découvrir le monde, et l’on sait combien les caresses des parents sont essentielles à une croissance saine. Ces contacts jouent même un rôle probable dans l’élaboration d’une image positive de soi: si l’on est touché, c’est que l’on est accepté, aimé, d’où un renforcement de l’amour-propre. D’autres cultures semblent avoir instinctivement compris et sauvegardé ce principe social naturel. Dans les pays méditerranéens, on se touche davantage, et sans malentendu. En Asie du sud-est, en Chine, au Japon, les contacts corporels sont fréquents grâce aux massages. Ceux-ci se pratiquent habillés (pudeur asiatique oblige), au travers des vêtements, mais permettent de se détendre, de se réconforter mutuellement, de soigner maints bobos sans recourir forcément au rebouteux du coin. Serait-ce une des raisons pour lesquelles le sens de la famille y est aussi préservé, le divorce plus rare qu’en Occident, la communication plus pleine?

Voilà autant de questions que traitera vendredi, dans sa conférence, Madame Rinnie Tang, lettrée chinoise de la grande tradition, sinologue et chercheuse au Musée de l’Homme à Paris*. Cette forte personnalité, bien connue pour ses conférences et ses enseignements, sera l’invitée de la Fondation Ling à Lausanne. Elle expliquera les vertus du massage chinois et de la communication par le toucher, en mettant l’accent sur une forme traditionnelle, aisément utilisable en famille, appelée le « massage à quatre mains ». Allez l’écouter : son éloquence érudite et son humour abrasif vous masseront agréablement les lobes cérébraux.

* Vendredi 24 mars, 20h15, collège Arnold Reymond, Pully, salle de projections. Suivie le week-end des 25-26 mars d’un enseignement pratique. Renseignements: Fondation Ling, tél. 021-312.09.51.

(21.03.95/LNQ)