Une histoire anecdotique de la psychiatrie suisse

On vient de m’envoyer le dernier livre du Professeur Christian Müller*, ancien directeur, pendant un quart de siècle, de l’hôpital de Cery, psychiatre aux travaux connus bien au-delà de nos frontières. Depuis qu’il a pris sa retraite, Müller continue de nous étonner par sa fécondité en matière de publications. Une fois de plus, le voilà qui renoue avec sa passion pour l’Histoire en général et celle de la psychiatrie en particulier. Il nous livre ici une chronique plaisante des grandes figures et des institutions psychiatriques helvétiques.

Ce chapelet de documents et de témoignages éclaire magistralement l’évolution générale de la psychiatrie suisse jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Nous apprenons comment les médecins « bien de chez nous », du 16e au 20e siècle, comprenaient et traitaient la folie, comment ils s’efforçaient d’améliorer la condition générale des malades mentaux, et comment les « étrangers du dehors » jugeaient nos institutions.

Savoureuse succession de documents historiques inédits ou peu connus sur les pionniers de la psychiatrie moderne, cette chronique nous éclaire entre autres sur Forel, Rorschach, Bleuler, Binswanger, Dubois, Jung ou Meyer, qui tous ont eu un écho retentissant sur le plan international et ont nourri la réputation (désormais anémique, hélas!) de la psychiatrie helvétique.

En ouvrant ce livre, le lecteur trouvera un ensemble de petits chapitres, agréables à lire, qui exciteront sa curiosité sans qu’il soit forcément un connaisseur en psychiatrie. L’auteur a voulu délibérément créer un kaléidoscope d’anecdotes. « L’anecdote jette parfois une lumière intense sur l’histoire, comme une photo peut, sous une forme condensée, refléter des choses complexes », déclare-t-il finement dans son introduction (et Dieu sait si le signataire de cette chronique lui donne raison!).

Cet ouvrage reflète assez bien les idées de Müller et son expérience. Le dernier chapitre est une méditation sur l’avenir de la psychiatrie, sous forme d’une fiction narrative. Nous sommes en 2050. L’arrière petite-fille de Müller, elle-même psychiatre, donne une conférence dans un congrès. Elle relève les changements survenus en psychiatrie et égrène les prophéties tantôt vigoureuses, tantôt prudentes, de son ancêtre.

On l’a compris. L’auteur se plait à émailler ici et là les documents historiques de commentaires subjectifs (au demeurant non dénués de charme). Pourquoi pas? Dans cette foulée, pourtant (ô saisons, ô chateaux! quel livre est sans défaut?), on dénote chez lui une attitude curieusement dédaigneuse envers le courant écosystémique en psychiatrie, courant pourtant déjà vieux d’un demi-siècle, qui attribue une importance capitale à l’influence du milieu (surtout la famille) dans l’éclosion de la maladie mentale et dans les traitements qui permettent de prévenir ou d’enrayer le mal. Müller serait-il oublieux ou ingrat? Pourquoi omettre de signaler qu’il a lui-même encouragé le développement de cette approche à Cery, ou le travail fécond d’une équipe dont les publications et les recherches sont salués aujourd’hui par la communauté scientifique internationale (notamment grâce aux travaux du CEF**)? Faut-il y voir je ne sais quel réflexe idéologique, qui étonne sous la plume d’un homme avisé et habituellement pondéré? Ou un plaisir provocateur tardif?

Peut-être aurons-nous une réponse lors de la séance de signatures que l’auteur donnera à la librairie Payot, place Pépinet, Lausanne, le 4 avril dès 17h00, et qui sera suivie d’une causerie. Tenez-vous bien, ceci en même temps qu’un autre psychiatre, proche du CEF, lui-même d’orientation écosystémique et auteur d’un ouvrage sur la thérapie de famille! L’ambiance s’annonce donc corsée. Les curieux auront peut-être l’aubaine d’assister enfin à un pugilat en règle.

* Christian Müller: De l’asile au centre psychosocial , Ed. Payot, Lausanne, 1997.

** CEF: Centre d’Etude de la Famille, créé par le Professeur Luc Kaufmann.

(18.03.97/LNQ)