L’ailleurs à une encablure

Vous avez soudain le désir de fuir très loin, sans trop de kilomètres et sans agence de voyage. Vous avez le blues du Kilimandjaro, des Rocky Mountains, de la Route de la Soie, du Popocatepetl, et vous n’avez ni le temps ni l’énergie de vous y rendre. Ne désespérez pas: l’Ailleurs est à vos portes. Il vous suffit d’aller à Martigny et de prendre la route qui grimpe à Chemin-Dessus.

A 1150 mètres, ce village de 70 habitants à l’année vous offre le dépaysement espéré. D’infimes indices, familiers aux cartes de votre inconscient, vous le signalent. Par exemple, ce chalet enchinoisé, au détour d’un chemin, qu’on appelle ici « la pagode ». Il a été bâti par une bienfaitrice parisienne un peu excentrique (qui a fait construire aussi la jolie chapelle de Notre Dame des Neiges).

Mais la vraie magie du lieu, c’est l’Hôtel-Pension Beau-Site (façade safran passé, volets émeraude, véranda lumineuse – dont les vitres reflétent la cuvette d’Arpille). Entrez. Par endroits, le plancher craque délicieusement. Le bois sent bon, les couloirs se colorent de quelques Klee, Hodler, ou Van Gogh et de fleurs fraîches dans leurs vases à l’ancienne. Ils débouchent sur la salle de méditation aux coussins zazen, ou dans la salle à manger innondée de soleil, ou dans la petite bibliothèque au piano (quelqu’un y joue une ariette de Keith Jarrett). Sur les étagères s’alignent Maître Eckhart, Lao-tseu, Tintin, Dante, Bob Dylan, les Mille et Une Nuits. Aux murs, des calligraphies chinoises, des affiches Gianadda, une carte de balades secrètes, d’improbables dazibaos.

Urs Wuillemier, le patron, vous accueille sans chichis. Il vous mitonne des petits plats que c’en est un délice. Des galettes de millet en rôtis à la coriandre, la cuisine est toujours fraîche et variée. Le fendant pétille sur la terrasse. Vous hallucinez une Anglaise en knickerbockers, un moine taoïste sur son âne, un vol de grues dans le soir ocre. La nuit, dans les chambres douillettes, vous décollez à votre tour, personnage de Chagall en goguette.

Svelte, calme, chaleureux, Urs vous dit, devant une tasse de thé himalayien, qu’il a voulu mettre à disposition ce lieu magique pour « ceux qui cherchent encore les vraies valeurs ». Il désirait en faire un espace vivant, propice au repos, à la méditation ou au travail créatif – à un prix modique. Il a réussi. Si vous voulez le vérifier encore cette année, ce sera l’occasion d’y fêter un double jubilé: les 80 ans de la pension (créée en 1912) et les 10 ans de direction ursienne.

Hôtel Beau-Site, Chemin-Dessus (VS), tél. 026.22.81.64.

(31.10.92/LNQ)