Confessions privées, aveux public

Parmi les nombreuses choses que l’on entend dans un cabinet de psychiatre, dans le lamento douloureux des plaintes, ressentiments, suppliques et autres secrets d’alcôve, une des confidences que je recueille avec le plus d’émotion est la confession, avec son cortège de remords, de regrets, de culpabilité, de désir de s’amender. Le fait d’avouer une faute, de reconnaître ses torts, de livrer ce tourment-là à quelqu’un est certainement un besoin universel et revêt des formes variées. L’autre jour, une mère me disait, la voix étouffée par les sanglots, comment il lui arrivait de frapper son bébé, tout en étant effrayée, consternée par toute cette rage incompréhensible en elle. Hier, un homme me demandait, les yeux inquiets, comment reprendre contact avec sa vieille mère, qu’il avait abandonnée depuis des années et qu’il savait maintenant malade, à l’article de la mort. Et cette femme encore, jambes croisées, l’une presque enroulée autour de l’autre*, qui me confesse qu’elle trompe son mari en secret, depuis des années. Les exemples foisonnent, et aucun ne me paraît plus significatif que les autres.

On dit parfois que le psychiatre ressemble au prêtre dans sa fonction de confident et dans sa soumission au secret professionnel. Cela me rappelle que le préfet de la discipline du collège de mon enfance nous apostrophait pendant la récréation: « Dis-moi, toi, là-bas, depuis quand n’es-tu pas allé à confesse? » Craintifs, vaguement fayots sur les bords, nous nous précipitions vers la chapelle. Si nous avions un tant soit peu de fierté, nous nous laissions au moins tirer l’oreille jusqu’au confessionnal de bois, avec son rideau rouge. Un petit volet s’ouvrait alors et, dans la pénombre, nous pouvions distinguer le profil du confesseur, revêtu de sa jolie étole. « Parle, mon enfant, confesse tes péchés à Dieu. Et sois sincère, hein! » Je sais, c’est une image d’Epinal, un cliché, qui indigne d’ailleurs nombre de gens. Il est d’usage en ce cas d’évoquer immédiatement le poids des doctrines judéo-chrétiennes et leur aberrante propension à culpabiliser leurs sujets**. Moi aussi, à une certaine période de ma vie, j’ai cru bon de m’indigner de tels procédés (qui n’ont plus cours de nos jours, à ma connaissance). Mais depuis que j’exerce le bizarre métier de psychiatre, je ne m’étonne plus du besoin incoercible d’avouer, éprouvé par tous mes semblables, de la roture au gratin. Force aussi m’est de reconnaître les vertus thérapeutiques de la confession. Ça soulage, crénom, de vider son coeur à quelqu’un, de ne plus être seul à porter le poids de ses erreurs, de ses manquements, de ses vilenies et autres indignités.

Mais s’il est vrai que ce genre de démarche, aisément compréhensible, se fait de préférence dans l’intimité d’une rencontre avec un confident choisi, ami, parent, directeur de conscience, prêtre, psychologue ou médecin (et toutes leurs hypostases), que faut-il penser de la confession publique, celle que l’on étale au grand jour? En ce cas, il ne s’agit pas (ou pas seulement) de se soulager la conscience, mais celui qui avoue ses fautes veut aller plus loin, il cherche à faire état d’un progrès moral, qui prend valeur d’exemple, même si ses actes appellent, dans un premier temps, la réprobation. Quelques prédécesseurs notoires nous donnent l’exemple des bienfaits de la confession. Saint Augustin retrace, illuminé par sa repentance, le douloureux chemin de ses égarements et de ses découvertes spirituelles. Rousseau bat sa coulpe et s’amende d’avoir abandonné ses cinq enfants à l’assistance publique (après avoir écrit l’Emile!). De Quincey décrit les affres secrets et sublimes d’une enfance blessée. Musset nous confie ses déboires amoureux avec Georges Sand. Sans oublier tous les auteurs de journaux intimes, qui n’en finissent plus de nous avouer leurs fautes avec plus ou moins de complaisance.

Aujourd’hui, les choses dégénèrent, et l’on est en droit de s’inquiéter de l’exploitation mercantile de la confession. Avec l’impérialisme de la question, les media, et en particulier la télévision, ont transformé la confession en spectacle. Dieu a-t-il réellement disparu? Est-il pour de bon remplacé par la Sainte Eglise Cathodique, ses reality shows dégoulinants de compassion factice, ses « psychanalyses » artificielles, ses déboutonnages à la mord-moi-le-noeud? La mode de laver son linge sale en public va-t-elle l’emporter sur la confession privée?

Allons, vous n’avez que trop tardé, à confesse, à confesse! Mais choisissez votre camp, que diable! La télé, le prêtre ou le psychiatre. Et si vous ne savez quelles fautes confesser à votre Dieu, rassurez-vous, lui le sait.

* Indice non-verbal à peu près certain, selon Milton Erickson, psychiatre américain, d’une femme qui fait des infidélités à son mari.

** Relevons toutefois qu’à l’inverse du calvinisme et du judaïsme, le catholicisme dispose au moins du sacrement de la confession, sans parler de cette aubaine: la pénitence et le pardon.

(01.11.94/LNQ)